Fruits des fortes pluies, d'une tempête ou encore d'un tsunami, les inondations constituent la moitié des catastrophes naturelles dans le monde et la majorité de celles-ci en France, où elles prennent des vies presque chaque année. Alors que la région Méditerranée est particulièrement concernée par les phénomènes violents et les effets du changement climatique, Futura a rencontré des représentants de la Communauté d'Agglomération Var-Estérel-Méditerranée (Cavem), un maillon essentiel dans la chaîne de prévention du risque inondation.


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    Nul n'aura oublié le lourd bilan des inondations de juin 2010 dans le Var, avec pas moins de 25 vies perdues dans les crues de la Narturby et de l'Argens (plusieurs communes dont Draguignan et Fréjus), les 20 morts des inondations d'octobre 2015 dans les Alpes-Maritimes et les 15 victimes des inondations d'octobre 2018 dans l'Aude. Particulièrement touchée par ces drames, la zone Méditerranée connaît ce qu'on appelle des « épisodes méditerranéens », caractérisés par de violents orages stationnaires accompagnés de précipitations aussi brusques qu'intenses. Ils se produisent généralement en automne, quand la mer est la plus chaude, et il se déverse alors en quelques heures l'équivalent d'un ou plusieurs mois de précipitations.

    Ces épisodes frappent notamment la Lozère, l'Ardèche, l'Hérault, le Gard et la Haute-Corse, mais aussi d'autres départements tel le Var, où les inondations rivalisent avec les incendies pour le titre de principale catastrophe naturelle. Comme ces épisodes méditerranéens gagnent en intensité avec le changement climatiquechangement climatique, le risque inondation augmente inévitablement. Plus affecté par le réchauffement que le reste du monde, le bassin méditerranéen enregistre une augmentation de température de 1,4 °C par rapport à l'ère préindustrielle contre 1 °C pour l'ensemble du globe, doublé d'une modification du cycle de l'eau.

    « On a constaté plus ou moins la même pluviométrie, mais sur des temps très courts, avec une recrudescence des phénomènes violents, et à l'inverse des épisodes de sécheresse pouvant aussi impacter sur les inondations, car le même phénomène de ruissellement accéléré s'observe si le sol est trop sec ou trop imprégné d'eau », décrit Vanessa Huet, ingénieure risque inondation à la Communauté d'Agglomération Var-Estérel-Méditerranée (Cavem). La Cavem est impliquée dans trois projets européens avec des villes italiennes également impactées par les inondations et dont les bassins hydrographiques présentent des similitudes, propices à la réalisation d'études en commun et au développement de stratégies de préventionprévention conjointes.

    Un terrain de football inondé par la crue de novembre 2011 à Saint-Raphaël (Var). ©️ Service Hydraulique Cours d’Eau (SHCE)/Cavem
    Un terrain de football inondé par la crue de novembre 2011 à Saint-Raphaël (Var). ©️ Service Hydraulique Cours d’Eau (SHCE)/Cavem

    Comment mesurer le risque inondation ?

    D'après la formule résumant bien cette notion (risque = aléa × vulnérabilité), le risque inondation se définit comme la probabilité qu'un aléa, ici une crue, occasionne des dommages sur des enjeux vulnérables, en l'occurrence la population et ses biens. « Ce risque existe depuis des décennies, déclare Paul Christian Ollier, directeur général adjoint des services à la Cavem. Il est devenu plus prégnant du fait de l'augmentation de la pressionpression foncière. Des évènements sont répertoriés sur les siècles passés mais l'urbanisation des territoires a amplifié le problème. »

    Pour le quantifier, des mesures de crues de référence et des calculs statistiques ont été réalisés sur les cours d'eau de France par l'État dans le cadre des Plans de Prévention du Risque Inondation (PPRI), fournis à toutes les communes pour guider les projets d'aménagement en identifiant les zones inondables. Ces mesures se basent en général sur la crue centennale, c'est-à-dire dont la probabilité de se produire est de 1 sur 100 chaque année. Selon les PPRI, « tout le territoire urbain de la Cavem est exposé » au risque d'inondation, indique Vanessa Huet, mais il est difficile de pointer du doigt des rivières plus menaçantes que les autres.

    Carte des zones inondées par la crue du Pédégal, de la Garonne et du Peyron en novembre 2011 à Saint-Raphaël (Var). ©️ Service Hydraulique Cours d’Eau (SHCE)/Cavem
    Carte des zones inondées par la crue du Pédégal, de la Garonne et du Peyron en novembre 2011 à Saint-Raphaël (Var). ©️ Service Hydraulique Cours d’Eau (SHCE)/Cavem

    Hormis la très large basse vallée de l'Argens qui connaît des crues lentes, tous les bassins versantsbassins versants du territoire de la Cavem sont petits et pentus, en proie à une dynamique de crue rapide, appelée crue éclairéclair. Le niveau de l'eau monte « très vite, ce qui est plus dangereux car le temps d'alerte est bien plus court », prévient Vanessa Huet. Exemple avec la Garonnette (Sainte-Maxime, Var), dont la crue d'octobre 2018 a coûté la vie à deux personnes.

    Une faiblesse des PPRI est de ne considérer pour déterminer les zones inondables que les crues et débordements des cours d'eau en ignorant d'autres facteurs, souligne l'ingénieure, tels le ruissellement de l'eau et le débordement des réseaux pluviaux, qui dépendent de l'imperméabilisation du sol et de la densification des zones urbaines. Ainsi, bâtir une maison « en bas d'une colline déjà construite peut l'exposer au risque d'inondation par ruissellement », sans nécessairement la présence d'un cours d'eau. Prendre en compte le ruissellement et la capacité des réseaux pluviaux dans l'étude des inondations est un des objectifs du projet européen ADAPT, auquel la Cavem participe sous l'égide du département du Var. 

    Les aménagements et les systèmes d'alerte aux crues

    Pour contrecarrer la survenue de catastrophes, un certain nombre d'actions sont mises en place, en commençant par la surveillance et les prévisions météométéo, ainsi que la constructionconstruction et la gestion de divers ouvrages hydrauliques (systèmes d'endiguement, bassins de rétention, barrages, etc.)) chargés de retenir le cumul de précipitations en amont des zones urbaines. En pratique, la Cavem a sur son territoire huit bassins versants, dont celui de l'Argens, du Pédégal, du Valescure et de la Garonne, et gère quatre ouvrages écrêteurs de crues : le barrage du Saint-Esprit, le barrage des Cous, le barrage du Peyron et le bassin du Castellas. Un barrage écrêteur de crue nommé barrage de l'Aspé, accompagné d'un bassin en aval, le bassin de Vaulongue, entreront bientôt en construction pour livraison d'ici 2021.

    Le barrage des Cous à Saint-Raphaël (Var) dispose d'une capacité maximale de rétention d’un peu plus de 2 millions de mètres cubes et peut réduire l'amplitude (écrêter) d'une crue centennale de 90 %. ©️ Service Hydraulique Cours d’Eau (SHCE)/Cavem
    Le barrage des Cous à Saint-Raphaël (Var) dispose d'une capacité maximale de rétention d’un peu plus de 2 millions de mètres cubes et peut réduire l'amplitude (écrêter) d'une crue centennale de 90 %. ©️ Service Hydraulique Cours d’Eau (SHCE)/Cavem

    Au-delà de la réalisation et de l'utilisation de ces aménagements, le principe est d'effectuer une veille hydrométéorologique sur les bassins versants où ils sont implantés, c'est-à-dire de contrôler les niveaux d'eau au moyen de stations de mesure appelées systèmes d'annonce aux crues tout en surveillant les prévisions météo. Si les seuils de sécurité sont dépassés, la Cavem transmet un bulletin de préalerte ou d'alerte aux autorités compétentes - communes du territoire, préfecture et SDIS (Service Départemental d'Incendie et de Secours).

    Concrètement, en cas d'alerte, « on envoie deux personnes par ouvrage hydraulique pour effectuer un contrôle visuel », en complément des instruments de mesure, explique Paul-Christian Ollier. Ces ouvrages sont fixes, ce qui signifie qu'il est impossible d'agir directement sur lui si le niveau monte. « Le problème, c'est que dès qu'il y a une action humaine, il y a responsabilité. Sur nos ouvrages, le débitdébit est régulé, on connaît leur fonctionnement, les niveaux à ne pas dépasser et on ne prend pas le risque d'une défaillance ou d'aggraver la catastrophe. » Informées du risque d'inondation, ce sont les mairies et la préfecture qui prennent ensuite des dispositions pour déployer des équipes, prévenir ou évacuer la population si nécessaire.

    Une station pluviométrique sur le bassin versant de la Garonne à Saint-Raphaël (Var). ©️ Service Hydraulique Cours d’Eau (SHCE)/Cavem
    Une station pluviométrique sur le bassin versant de la Garonne à Saint-Raphaël (Var). ©️ Service Hydraulique Cours d’Eau (SHCE)/Cavem

    Le risque zéro n'existe pas

    Quelles sont les limites de ces systèmes d'alerte et de ces aménagements ? « L'argentargent, répond Vanessa Huet de façon catégorique. Techniquement on peut tout faire. On définit des objectifs de débits (crue de 20 ans, de 30 ans ou de 100 ans), le prix, le nombre de personnes touchées, etc. En fonction de cette analyse, on choisit quoi faire. On pourrait élargir certains cours d'eau pour un débit de crue centennale, mais cela impliquerait d'abattre des maisons ce qui n'est pas acceptable humainement et financièrement. » En ce qui concerne les systèmes d'alerte, « ils sont efficaces, les technologies sont en constante évolution, affirme l'ingénieure. Le seul facteur d'incertitude reste la prévision météo ».

    Développer la culture du risque

    « Depuis l'instauration des PPRI, on mesure non pas une augmentation des aléas (des crues), mais une augmentation de la vulnérabilité », indique Vanessa Huet, liée à la croissance de la population et de l'urbanisation. « Les collectivités font beaucoup de choses », en matièrematière de travaux et de prévention, mais « cela n'effacera jamais le risque : le risque zéro n'existe pas, on peut l'atténuer mais pas l'éliminer. C'est pourquoi on essaie de sensibiliser les riverains ». Ce travail est un des grands axes des projets européens Risq'eau, pour lequel la Cavem est partenaire, et Proterina 3 Evolution, où la Cavem intervient pour le compte du département du Var.

    De nombreux documents existent, tels le Document d'Information Communal sur les Risques Majeurs (DICRIM) ou le Plan Familial de Mise en Sûreté (PFMS), mais rares sont ceux qui les connaissent ou les exploitent. « Tous ces documents ont été mis en place avant les inondations catastrophiques qu'a connu le Var ces 20 dernières années, pourtant il y a eu des morts », déplore l'ingénieure.

    Deux personnes sont mortes pendant la crue de la Garonnette du 10 octobre 2018 dans la commune de Sainte-Maxime (Var). ©️ Service Hydraulique Cours d’Eau (SHCE)/Cavem
    Deux personnes sont mortes pendant la crue de la Garonnette du 10 octobre 2018 dans la commune de Sainte-Maxime (Var). ©️ Service Hydraulique Cours d’Eau (SHCE)/Cavem

    Pour expliquer ce constat macabre, « des pistes de réponse existent. Le public met en place des stratégies d'évitement (déni, minimisation du risque, sentiment d'invincibilité), jusqu'au moment où la catastrophe arrive. Cela peut participer à aggraver la vulnérabilité des personnes, mettre en péril la vie des sauveteurs et finalement accroître la difficulté de maîtrise des situations par les acteurs de la gestion de crise. Aussi, la manière de communiquer est cruciale. Toute la difficulté de l'exercice est de ne pas culpabiliser la personne et de ne pas lui faire peur. En résumé, le message à retenir est : vous ne sauverez pas tous vos biens, le plus important c'est vous et votre famille. »

    « On arrive à la limite de ce que les instruments et les travaux peuvent faire. L'avenir, c'est d'aller vers les gens pour que le citoyen soit acteur de sa propre sécurité », assure Vanessa Huet. « C'est la dernière étape, quand on a fait le tour de tout ce qu'on pouvait faire [aménagements, systèmes de surveillance, etc.] », conclut Paul-Christian Ollier.